Guitariste virtuose, Marty connaît la gloire très jeune. Il mène la vie d'une rock-star dans le New York des années 1970 quand sa carrière plonge, comme ses amours. À trente-trois ans, il vit seul, sans contrat, harcelé par un agent de recouvrement : les années disco sont dures pour les rockers.
Marty se rend compte qu'il est passé à côté de sa vie et de son oeuvre. Aurait-il dû continuer à jouer du blues aux côtés de Blind Red Rose, son premier mentor, resté pauvre et légendaire ?
Marty May raconte l'histoire d'un homme intègre et vulnérable, et d'une scène musicale qui passe insensiblement des mains des artistes à celles des hommes d'affaires.
Élégant et tragique comme un Catsbyle magnifique de l'âge du rock, ce premier livre d'Elliott Murphy n'avait encore jamais été publié en France dans sa version intégrale.
Né à Long Island en 1949, Elliott Murphy a été salué dès son premier album, Aquashow (1973), comme «le nouveau Dylan». Il s'est installé à Paris en 1989. La trentaine d'albums qu'il a enregistrés constitue, à côté de celles de Dylan ou de Neil Young, une des oeuvres les plus riches du rock américain. Il est par ailleurs poète et romancier (Poetic Justice).
**
Extrait
May, Marty (1949, Pocahontas Heights, New Jersey). Pratiquement enlevé par Blind Red Rose à l'issue du bal de son lycée, Marty May a accompagné pendant cinq ans le bluesman légendaire avant d'entamer une carrière rock en solo. Il a connu un certain succès, mais n'a pas su...
Dave Simmons regarda les mots qu'il venait de taper, secoua la tête, et sortit lentement la feuille de sa machine. Il la jeta délicatement dans la corbeille à côté de son bureau, et alluma une longue Nat Sherman brune, les yeux fixés sur la machine à écrire maintenant vide. Son bureau consistait en une épaisse planche rectangulaire de contre-plaqué brut reposant sur des classeurs métalliques. Au-dessous s'entassaient des piles de magazines rock et de romans de Raymond Chandler, Philip K. Dick et F. Scott Fitzgerald. La grosse IBM était installée au milieu du bureau, comme une idole, entourée d'une demi-douzaine de paquets de Nat Sherman. Derrière Dave, un mur était entièrement couvert de vinyles : des albums et des albums, du sol au plafond, certains sur des étagères, d'autres posés directement par terre, ou appuyés contre le mur. En dehors des disques, son appartement était nu : aucune photo, aucun cadre. A un endroit très précis, sur le sol, on distinguait la trace de deux pieds : c'est là que, chaque matin, Dave Simmons se raidissait pour faire ses cent abdominaux.
Il souleva de son bureau le téléphone noir à cadran et, de mémoire, composa rapidement un numéro.
«Windsor Records, que puis-je pour vous ?
- Le service de presse, je vous prie.»
La voix de Dave Simmons était plus douce qu'on aurait pu l'imaginer. En voyant les Nat Sherman, les lunettes noires et la casquette irlandaise en tweed, enfoncée sur son crâne quelle que soit la saison, on s'attendait à une voix plus rude, une voix à la Damon Runyon. Mais Simmons parlait lentement, avec un accent du Midwest, et en butant légèrement sur les mots. C'était un homme d'un naturel timide dans un milieu non naturel et non timide : le monde de la musique.
«Ici le service de presse. Je peux vous aider ?
- Euh... Oui, j'espère. Je m'appelle Dave Simmons, et j'écris un livre sur le blues et ses rapports avec le rock..
- Simmons..., l'interrompit la voix nasale de l'attachée de presse. Vous êtes critique musical, n'est-ce pas ?
- Oui. Enfin, disons qu'il m'arrive d'écrire dans Rolling Stone...» Il aurait préféré que la question ne soit pas soulevée, car dans ses articles, qui étaient très lus, il ne s'était pas montré particulièrement bienveillant pour certaines des productions récentes de Windsor Records. «Mais pour l'instant je travaille à ce livre à propos de l'influence du blues sur le rock, surtout sur le rock blanc, et j'aurais besoin d'informations concernant Marty May.
- Marty May ? C'est l'un de nos artistes ? Son nom ne me dit rien.
- Enfin, peut-être qu'actuellement il n'est plus chez vous, mais il l'était il y a quelques années. Il a enregistré pour Windsor quelques albums superbes. Je suis payé pour le savoir, dit-il avec un très léger rire. J'ai écrit des articles dessus.
- Je suis désolée, mais je ne peux vous aider que pour les artistes que nous avons actuellement sous contrat. En tout cas, je vous remercie pour vos articles. Vous voulez bien que je vous envoie quelques albums magnifiques que nous avons sortis récemment ? Je suis sûre que si vous aimiez à ce point Martha May, vous les aimerez.
Revue de presse
Des palaces d'Hollywood aux clubs de blues de Manhattan, Marty May voit ses ambitions adolescentes céder la place à un désabusement croissant et à une impécuniosité chronique, sans pour autant se départir d'un humour assassin (dont le barnum heavy-metal fait les frais) et d'un reste de foi dans le rock'n'roll, «moyen le plus rapide de se plonger au coeur de l'énergie de l'Amérique, dans sa moelle la plus sombre, la source de tout ce qu'elle a d'atroce et de merveilleux, son incessante quête d'une âme». De l'âme et de l'élégance, ce roman doux-amer en regorge, Murphy faisant de Marty May le porte-parole d'une génération déboussolée, qui a raté le virage new-wave. (Bruno Juffin - Les Inrocks, mars 2013)
Description:
Guitariste virtuose, Marty connaît la gloire très jeune. Il mène la vie d'une rock-star dans le New York des années 1970 quand sa carrière plonge, comme ses amours. À trente-trois ans, il vit seul, sans contrat, harcelé par un agent de recouvrement : les années disco sont dures pour les rockers.
Marty se rend compte qu'il est passé à côté de sa vie et de son oeuvre. Aurait-il dû continuer à jouer du blues aux côtés de Blind Red Rose, son premier mentor, resté pauvre et légendaire ?
Marty May raconte l'histoire d'un homme intègre et vulnérable, et d'une scène musicale qui passe insensiblement des mains des artistes à celles des hommes d'affaires.
Élégant et tragique comme un Catsbyle magnifique de l'âge du rock, ce premier livre d'Elliott Murphy n'avait encore jamais été publié en France dans sa version intégrale.
Né à Long Island en 1949, Elliott Murphy a été salué dès son premier album, Aquashow (1973), comme «le nouveau Dylan». Il s'est installé à Paris en 1989. La trentaine d'albums qu'il a enregistrés constitue, à côté de celles de Dylan ou de Neil Young, une des oeuvres les plus riches du rock américain. Il est par ailleurs poète et romancier (Poetic Justice).
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Extrait
May, Marty (1949, Pocahontas Heights, New Jersey). Pratiquement enlevé par Blind Red Rose à l'issue du bal de son lycée, Marty May a accompagné pendant cinq ans le bluesman légendaire avant d'entamer une carrière rock en solo. Il a connu un certain succès, mais n'a pas su...
Dave Simmons regarda les mots qu'il venait de taper, secoua la tête, et sortit lentement la feuille de sa machine. Il la jeta délicatement dans la corbeille à côté de son bureau, et alluma une longue Nat Sherman brune, les yeux fixés sur la machine à écrire maintenant vide. Son bureau consistait en une épaisse planche rectangulaire de contre-plaqué brut reposant sur des classeurs métalliques. Au-dessous s'entassaient des piles de magazines rock et de romans de Raymond Chandler, Philip K. Dick et F. Scott Fitzgerald. La grosse IBM était installée au milieu du bureau, comme une idole, entourée d'une demi-douzaine de paquets de Nat Sherman. Derrière Dave, un mur était entièrement couvert de vinyles : des albums et des albums, du sol au plafond, certains sur des étagères, d'autres posés directement par terre, ou appuyés contre le mur. En dehors des disques, son appartement était nu : aucune photo, aucun cadre. A un endroit très précis, sur le sol, on distinguait la trace de deux pieds : c'est là que, chaque matin, Dave Simmons se raidissait pour faire ses cent abdominaux.
Il souleva de son bureau le téléphone noir à cadran et, de mémoire, composa rapidement un numéro.
«Windsor Records, que puis-je pour vous ?
- Le service de presse, je vous prie.»
La voix de Dave Simmons était plus douce qu'on aurait pu l'imaginer. En voyant les Nat Sherman, les lunettes noires et la casquette irlandaise en tweed, enfoncée sur son crâne quelle que soit la saison, on s'attendait à une voix plus rude, une voix à la Damon Runyon. Mais Simmons parlait lentement, avec un accent du Midwest, et en butant légèrement sur les mots. C'était un homme d'un naturel timide dans un milieu non naturel et non timide : le monde de la musique.
«Ici le service de presse. Je peux vous aider ?
- Euh... Oui, j'espère. Je m'appelle Dave Simmons, et j'écris un livre sur le blues et ses rapports avec le rock..
- Simmons..., l'interrompit la voix nasale de l'attachée de presse. Vous êtes critique musical, n'est-ce pas ?
- Oui. Enfin, disons qu'il m'arrive d'écrire dans Rolling Stone...» Il aurait préféré que la question ne soit pas soulevée, car dans ses articles, qui étaient très lus, il ne s'était pas montré particulièrement bienveillant pour certaines des productions récentes de Windsor Records. «Mais pour l'instant je travaille à ce livre à propos de l'influence du blues sur le rock, surtout sur le rock blanc, et j'aurais besoin d'informations concernant Marty May.
- Marty May ? C'est l'un de nos artistes ? Son nom ne me dit rien.
- Enfin, peut-être qu'actuellement il n'est plus chez vous, mais il l'était il y a quelques années. Il a enregistré pour Windsor quelques albums superbes. Je suis payé pour le savoir, dit-il avec un très léger rire. J'ai écrit des articles dessus.
- Je suis désolée, mais je ne peux vous aider que pour les artistes que nous avons actuellement sous contrat. En tout cas, je vous remercie pour vos articles. Vous voulez bien que je vous envoie quelques albums magnifiques que nous avons sortis récemment ? Je suis sûre que si vous aimiez à ce point Martha May, vous les aimerez.
Revue de presse
Des palaces d'Hollywood aux clubs de blues de Manhattan, Marty May voit ses ambitions adolescentes céder la place à un désabusement croissant et à une impécuniosité chronique, sans pour autant se départir d'un humour assassin (dont le barnum heavy-metal fait les frais) et d'un reste de foi dans le rock'n'roll, «moyen le plus rapide de se plonger au coeur de l'énergie de l'Amérique, dans sa moelle la plus sombre, la source de tout ce qu'elle a d'atroce et de merveilleux, son incessante quête d'une âme». De l'âme et de l'élégance, ce roman doux-amer en regorge, Murphy faisant de Marty May le porte-parole d'une génération déboussolée, qui a raté le virage new-wave. (Bruno Juffin - Les Inrocks, mars 2013)